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Europe Ecologie Haut Val de Marne
22 février 2009

La circulation des pièces euro : un marqueur symbolique de la construction européenne

Plus de cinq mille personnes ont accepté de montrer le contenu de leur porte-monnaie au cours des enquêtes ESDO de mars 2002, juin 2002, Sept 2002 et Janvier 2003 ; chacune  possédait en moyenne 14 pièces dans son  porte-monnaie. On observe des variations du nombre moyen de pièces par porte-monnaie selon l’âge, le sexe, la catégorie sociale mais aussi en fonction de la localisation géographique. Si les femmes de moins de 50 ans possèdent plus de pièces dans leur porte monnaie que leurs maris, ce sont les hommes qui détiennent plus de pièces chez les moins de 25 ans et les plus de 65 ans.  Ces variations socio-démographiques et spatiales du nombre de pièces sont cependant assez limitées et n’introduisent pas de biais majeurs dans le calcul de la probabilité de posséder au moins une pièces étrangère dans son porte-monnaie. Celle-ci constitue l’indicateur central de la  recherche de l'ESDO qui peut être  décliné selon l’origine géographique des pièces : probabilité de posséder au moins une pièce allemande, belge, italienne, etc

Figure 1 :Distribution des Euros étrangers en France en Septembre 2002

euro1Cette carte résume la présence simultanée des euros d’origone étrangère sur le territoire français. La couleur figurée en fond de carte indique l’intensité de cette présence. Les isolignes de couleur délimitent, pour chaque origine, les zones les plus fortement marquées (présence d’euros en provenance d’un pays > à x%).

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En première lecture, les cartes de diffusion semblent obéir à une logique très mécanique de diffusion, proportionnelle à la taille des pays émetteurs (plus de pièces allemandes observées que de pièces luxembourgeoises) et inversement proportionnelle à la distance des foyers émetteurs. En septembre 2002, par exemple, on constate que ce sont les régions françaises frontalières avec les pays de la zone euro qui sont les plus touchés par la diffusion des pièces euros étrangères. Les migrations estivales accroissent e brassage des pièces  étrangères mais les régions de l’ouest et du centre-ouest demeurent celles où l’on a le moins de chance de trouver des pièces euros étrangères. Une analyse plus détaillée de la distribution des pièces selon leur origine permet de détecter des formes beaucoup plus spécifiques de relations entre les lieux. Ainsi, les préférences estivales des touristes allemands pour la côte méditerranéenne ou la côte landaise sont clairement identifiables par l’existence de pics locaux. De même, le caractère ubiquiste des fréquentations touristiques des belges et néerlandais et leur attraction pour les zones de montagne (Alpes et sud du massif central) sont également bien visibles lorsqu’on élimine le simple effet de la distance à la frontière. Dans le cas de l’Italie, la distribution des euros est plus complexe car elle s’effectue selon des déplacements plus symétriques :  déplacements d’italiens en France et déplacements de français en Italie. Les migrations familiales de familles d’origine étrangère résidant en France jouent aussi fortement et se traduisent toujours par des relations actives (pics locaux d’euros italiens en Lorraine et dans la moyenne vallée de la Garonne). Le cas des euros espagnols  combine les facteurs précédents (déplacements croisés depuis et vers la France) avec la présence d’un facteur  supplémentaire qui joue à travers le transit automobile, qui s’effectue à travers le territoire français, d’européens rejoignant la péninsule ibérique depuis  d’autres pays d’Europe du nord et d’Europe centrale.

 

La géographie de la distribution des euros étrangers en France est donc avant tout une géographie sociale observée à travers les contacts qui se nouent entre les régions de l’Europe et la France. Les territoires où les euros étrangers sont peu présents sont par définition des territoires pour lesquels l’on peut faire l’hypothèse que la construction européenne demeure une idée quelque peu abstraite. A contrario, les zones frontalières, où la présence des euros étrangers est massive, témoignent de la présence de  territoires dont la vie quotidienne est marquée par la relation avec les peuples voisins, à l’instar des régions rurales du nord et du sud de l’Alsace.

 

Figure 2 : Dynamique d’intégration transfrontalière du marché du travail en Alsace (1968-2000)
euro2

Mais l’euro est également un révélateur des inégalités sociales à travers l’observation des effets d’inclusion et d’exclusion de certaines catégories de population par rapport au projet européen. Dans les zones frontalières, la possession de pièces euros étrangères concerne toutes les catégories de population et peut d’ailleurs être plus élevée dans les catégories populaires lorsque les mouvements de travailleurs frontaliers sont d’intensité élevée. A l’intérieur du territoire national, en revanche, la présence de pièces euros étrangères est beaucoup plus sélective,  plus élevée dans les grandes villes et surtout au sein de catégories sociales spécifiques (cadres, diplômés, jeunes).

 

On aurait tort cependant de ne voir dans la circulation de l’euro qu’un témoignage matériel de la construction européenne et un témoin des progrès différenciés de l’intégration européenne d’un point de vue social et spatial. A observer la manière dont des personnes de tous âges et de toutes catégories s’attachent à reconnaître puis à collectionner les pièces euros étrangères, on ne peut manquer de revenir à Simmel et de s’interroger sur la « ruse de l’histoire » qui voit à travers la monnaie, un symbole de la réification des rapports sociaux, « contribuer à une forme de ré-enchantement du Monde ». Nos enquêtes n’ont pas encore permis d’établir de façon précise la proportion de collectionneurs de pièces euros étrangères mais de nombreux indices laissent supposer qu’elle est importante et que, à l’insu des marchés financiers, la mise en place de l’euro a peut-être contribué à donner un supplément d’âme à une Europe monétaire. La publication par l’ESDO des premières cartes de diffusion des pièces euros étrangères a suscité un intérêt médiatique important et une  fascination produite par cette image symbolique de l’invasion pacifique du territoire national par des vagues d’euros belges, allemands, italiens, espagnols ou néerlandais. On peut déplorer que cette expérience n’ait pu être étendue, faute de moyens suffisants, à l’ensemble des pays de la zone euro.

 

Dans sa Philosophie de l’Argent publiée en 1900, le sociologue allemand Georges Simmel a montré que l’argent constituait un fait social total, un symbole qui exprime et condense en lui toutes les relations sociales. Après Marx, Simmel affirme  que « les relations entre objets ne sont que des relations entre les humains » et que « derrière ces objets il y a le comportement des humains ». De l’étude de l’argent, il conclue à une crise générale de la société européenne du début du XXe siécle, crise de la modernité qui se caractérise par une réification des relations humaines, une tendance générale à la quantification et à l’abstraction qui libère l’individu mais  « désenchante le monde » selon M. Weber. Les travaux  réalisés à un siècle de distance sur la « géographie de l’argent » s’inscrivent clairement dans la perspective simmelienne de chercher à retracer les rapports sociaux à travers l’étude des traces spatiales des échanges monétaires. Les enquêtes trimestrielles qui ont été réalisées par l’ESDO sur la diffusion des pièces euros étrangères en France visent non seulement à établir une géographie de la diffusion mais plus encore à comprendre les relations sociales qui se nouent entre les régions européennes par delà les frontières. C’est la construction européenne, dans ses doubles dimensions matérielle et sociale que l’on saisit en étudiant la diffusion des pièces euros étrangères sur le territoire français.

Sites web :
Observatoire de la diffusion spatiale de l'Euro (ESDO) : http://www.esdo.prd.fr/

Bibliographie :

➢    GRASLAND C., GUERIN-PACE F., GARNIER B., TOSTAIN A., 2002, L'euro gagne du terrain, Paris, Pour la Science, n° 381, 10-11.

➢    GRASLAND C., GUERIN-PACE F., TOSTAIN A., 2002, La circulation des euros, reflet de la mobilité des hommes, Paris, INED, Population & Sociétés, n°384, 4 p.

➢    SIMMEL G., 1987, Philosophie de l’Argent, PUF, Paris

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